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LE TIPI DE LASTIROKOI
12 décembre 2009

FINAL

Elles nous ont roulé jusqu’à la digue, devant la plage de galets, face à la mer en contrebas. Le ciel est gris et bas. Les rafales de vent sont lourdes d’averses qui avancent ou d’embruns, salés.

Nous sommes 3 ou 4 grabataires du centre, encore sortables, sur des chaises roulantes, entourés dans des couvertures écossaises, en laine qui gratte. Je ne me souviens plus du nom de ces couvertures…Plus cela va et plus j’ai du mal à nommer les choses et les gens. L’autre jour, brutalement, impossible de me souvenir du prénom de ma 1ére épouse. Jusque tard dans la nuit, impossible de dormir. C’est si loin tout ça. Mais je ne regrette rien.

Tous les après midi, on nous pousse jusqu’ici. Et on reste là, silencieux, souvent sous la pluie. Car les infirmières, dès qu’elles nous ont roulé jusqu’ici, courent boire un thé ou un café. Chaud. Sous la véranda du centre. D’où elles nous surveillent. Peut être.

Et nous on reste là. Silencieux. Sous la pluie gelée. Sans rien dire. Sur nos chaises. Dans notre merde. Dans notre pisse. Elles nous mettent des couches. Plus facile pour ces feignantes que de nous aider. Avec un bassin ou un pistolet.

On ne dit rien. Le vieux. (On l’appelle le vieux. Mais on a le même age. Il a eu une attaque). Il peut plus. Il peut plus parler. Les autres, je ne sais pas. Moi je pourrai. Mais, je n’ai pas envie. Alors je me tais. Je ne sais pas si je saurais encore. Alors je me tais. Je pense.

Je pense. Entre 2 rafales. Entre 2 cris de mouettes. Quelle saloperie. Les mouettes. Je me demande si, quand elles tournoient autour de nous. Non, pas autour, au dessus… oui au dessus de nous. Je me demande si elles ne guettent pas notre… notre fin. Pour nous… comment déjà… Pour nous… dépecer.

Je pense. A ma vie. Mes souvenirs. Ce qu’il en reste. Mais tout part. C’est plein de trous. Comme de la dentelle. Qui se détricoterait. Plus cela va, plus il y a de trous. Moins j’ai de souvenirs. C’est cela la vieillesse. Ce sont des sensations. Ou plutôt des absences de sensations. D’appétit. De désirs. Je suis vieux. Je suis pauvre en souvenirs. Quand je n’en aurais plus, je m’endormirai. A jamais.

Je me cramponne à ceux qui restent. Avant la nuit. Encore une rafale de vent. Une rafale de pluie et la nuit qui arrive, derrière. Un voilier, chahuté par les vagues, loin. Sur l’horizon. Il longe la cote, serrant la terre. Bientôt il passera pile devant moi. Puis il s’éloignera vers la droite. Si vite et si lentement. Inexorablement. Comme ma vie.

Ce voilier, c’est la vie. Ma vie. L’image de ma vie qui est passée, si vite et si lentement, inexorablement. J’ai du m’assoupir. Le voilier est un point minuscule. Sur l’horizon. A droite. Il va disparaître. Il fait presque nuit. Malgré le… plaid. (J’ai retrouvé le nom de la couverture). J’ai froid. Le vent. La pluie qui gifle les galets, l’herbe de la digue. Nos visages. Et ces salopes qui ne reviennent pas nous mettre à l’abri.

Je me sens engourdi. Je sens des vagues de sommeil. Elles déferlent sur moi comme sur une plage de sable, sans laisser de trace. Il y souffle un vent glacé. Il éparpille les grains, un à un, de mon destin. Je me revois. Il y avait une marguerite. Et moi assis devant. Dans la cuisine. Je ne regrette rien. C’est si loin tout cela.

La dentelle se défait… c’est un grand trou maintenant. Au milieu. Avec une effilochure de coton autour. Je tombe dedans.

Si vite et si lentement…

Mais je ne regrette rien.

LASTIROKOI © 2009 in « HISTOIRE DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

(L’absence de regrets ne serait elle pas le dernier privilège de la vieillesse ?)

(Voila, c’est terminé… ce final est le 42ème textes des « histoires de la vie de tous les jours »…et le dernier de la série. Merci à tous ceux qui m’ont fait l’honneur de les lire, le plaisir de les commenter et, à ma grande confusion, parfois de les apprécier. Je vais sûrement me taire quelque temps… pour revenir, peut être, avec autre chose que je soumettrai avec beaucoup d’humilité, à votre jugement, à votre critique.

A tous, une belle vie sur la prairie de vos ancêtres…)

L.I 12/12/2009

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Commentaires
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  • Retranché dans ses fôrets et sous son tipi ou il y a le WI FI (ben oui ça t'étonne?), un indien qui ne comprend plus grand chose au monde civilisé... Il vous emmene dans son monde de textes, d'histoires de tous les jours. N'hésitez pas à réagir vous aussi.
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