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LE TIPI DE LASTIROKOI
8 décembre 2012

IMAGINE

 

Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Je suis un vieux monsieur. J’ai 70 ans. Alors ils sont tous venus. Il y a mes 2 fils et mes 3 filles, les gendres et les brus et les 7 petits enfants dont le plus vieux vient juste d’avoir 20 ans.

 

20 ans ; exactement l’age que j’avais quand… quand tout aurait pu basculer… non, pas basculer ; mais être différent, être autrement.

 

Et quand je vois notre tribu et notre maison pleine de bruits et de soleil, notre jardin plein de roses et notre bibliothèque, mon refuge, pleine de sérénité ; et surtout quand je te regarde, toi, ma compagne, ma complice des bons et des mauvais jours, toi avec qui j’ai tout construit, toi sans qui rien ne se serait construit, je me dis que j’ai eu une bonne vie, une belle vie et qu’à 20 ans, j’ai pris le bon chemin, j’ai eu le bon réflexe… sans même le savoir…

 

A quoi tiens la vie ? A quoi tiens le bonheur ?

 

Pendant qu’arrive le gâteau d’anniversaire dont je devrais souffler les bougies en une seule fois pour bien montrer que j’ai encore du souffle et que mon fils aîné ouvre une bouteille de champagne australien, bien meilleur que celui que font les français d’après ce que l’on dit chez nous, je revois cet épisode de ma vie comme un vieux film, avec amusement, avec attendrissement, cet épisode que je n’ai jamais raconté à personne.

 

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C’était la nuit, une nuit de novembre 1959, à Londres, sur un quai de la Tamise, non loin de « Vauxhall bridge »…

 

Non, il n’y avait pas de brouillard… mais un froid sec et vif, pétillant et vert comme du champagne.

 

Le lendemain, je reprenais le bateau pour rentrer chez moi, en Australie, au bout d’un an de voyage.

 

L’idée était de mon oncle. Il voulait que je lui succède à la tête de son cabinet d’assurances et il ne croyait ni aux études, ni aux diplômes. Autodidacte, il pensait qu’un jeune devait voyager autour du monde plutôt que de perdre son temps sur les bancs d‘une fac. Il avait convaincu mes parents. Il m’avait acheté un billet d’avion pour les USA et une guitare. Il m’avait mis un paquet de « traveller’s » dans les mains et m’avait conduit en personne à l’aéroport en m’expliquant qu’avec la guitare et les accords qu’il m’avait appris quand j’étais jeune, je pourrai gagner ma vie n’importe où…

 

Il avait raison.

 

Je suis parti fin 58. J’ai parcouru les « States » en stop de San Francisco jusqu’à New York en faisant un détour par le Canada puis je suis passé en Europe où j’ai sillonné l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la France et enfin l’Angleterre. Partout, avec ma guitare, j’ai été bien accueilli. Grâce à elle, on m’a donné à manger, à boire et rares ont été les soirs où je dormais seul dans mon sac de couchage.

 

J’ai vu, j’ai appris plein de choses sur le monde et sur les hommes. J’ai connu des galères. J’ai vécu des moments merveilleux mais j’en avais marre. J’étais heureux de rentrer enfin chez moi. « I’m going home ».

 

Ma dernière nuit à Londres... J’étais assis dans la pénombre de ce quai désert et je jouais de la guitare en chantant des textes que j’avais griffonnés sur un carnet, au hasard de mes rencontres, de mes étapes, de mes découvertes.

 

C’était une belle nuit même si la lune jouait à cache cache derrière les nuages. Loin, vers le parc, sonnait un clocher… Londres, Impératrice des cités où jamais je ne me suis senti « étranger ». C’est en parcourant ses rues et ses parcs que le mot « liberté » a prit du sens pour moi. A Madrid, on m’a traité de clochard et à Paris, la police m’a contrôlé 20 fois en un mois. Ici, jamais un policeman ne m’a adressé la parole… Si, une seule fois, à « Trafalgar », vers 3 heures du matin, pour me demander si je n’avais pas trop froid.

 

J’aime Londres, la plus libre, la plus tolérante, la plus séduisante des cités que je connaisse.

 

Je ne sais pas par où il est arrivé. Brusquement, il était devant moi, c’est tout. Il me regardait et il écoutait mes chansons en silence. Il avait mon age à peu prés. Vêtu de cuir noir, il portait les cheveux longs pour l’époque. Dans l’obscurité, j’avais du mal à distinguer son visage. Simplement il se taisait ; il écoutait.

 

Alors, j’ai joué tout mon répertoire pour cet unique spectateur, pour cet unique concert, sous les étoiles, dans l’air vif qui sentait parfois le goudron ou le gas-oil quand passait sur le fleuve un bateau. Les mouettes, perchées sur les amarres, dormaient.  

 

Combien de temps ai-je joué ? Je ne sais pas. A un moment j’ai eu soif. J’ai ouvert une cannette de bière et j’ai bu une gorgée au goulot. Puis, je lui ai tendu la bouteille. Il l’a vidé d’un coup. Il a sorti un paquet de cigarettes et m’en a offert une avant de se servir. J’ai posé ma guitare et ensemble, en fumant, sans rien dire, on a regardé le fleuve où passait un train de péniches chargé de voitures.

 

Tout à coup, il a parlé. Il m’a dit que ma musique était vraiment fabuleuse et que mes textes sonnaient juste. Il avait l’air sincère. J’ai rigolé. Je lui ai parlé de mon oncle qui m’avait appris à jouer et de mon voyage, des villes, des aventures qui avaient inspiré ces chansons.

 

Il m’a dit que c’était génial, vraiment génial et il m’a parlé de lui, un tout petit peu… de sa mère tout de suite mais je n’ai pas compris si elle était morte ou simplement partie…il avait envie d’aller un jour aux USA. Il s’y passait des choses importantes pour la musique et surtout il y avait New York, la seule ville à ses yeux où il pourrait vivre… et mourir…

 

Il avait une belle voix, grave et triste mais déjà cassée et usée pour son age et en même temps capable d’enthousiasme surtout quand il parlait de musique. Il essayait de former un groupe mais il avait du mal. Il y avait toujours un truc qui n’allait pas. Les mecs ne venaient pas aux repet’ ou ils arrivaient bourrés. Il avait l’air découragé.

 

Je lui ai tendu ma guitare pour qu’il me montre ce qu’il jouait mais il a refusé en me disant que c’était mon concert à moi seul. Il a voulu que je rejoue une chanson qui parlait de Memphis et d’une fille aux yeux noirs et pleins de haine.

 

Il m’a écouté presque religieusement. Il a rallumé une cigarette et c’est la seule fois où j’ai pu voir son regard, à la lueur du briquet, un regard étrange…lunaire… il était autre part, déjà dans un autre univers…

 

A la fin, il y eu un long silence et puis, hésitant, presque timidement, il m’a demandé si je voulais pas venir, un jour, jouer avec lui et son groupe. Il avait besoin d’un son tel que le mien. Je lui ai répondu que c’était impossible, que je repartais chez moi, en Australie, sur un cargo, demain.

 

Il n’a pas insisté.

 

Une aube timide se levait doucement, loin, de l’autre coté de la ville et le vent a fraîchi.

Les mouettes et les goélands, un à un, s’ébrouaient et prenaient leur envol vers la mer pour aller pêcher. 

 

Alors, il s’est levé et m’a fait un signe de la main en guise d’adieu.

 

Comme il s’éloignait, je lui ai demandé :

 

-       « Hé, mec ! »

 

Il s‘est retourné.

 

-       « c’est quoi ton nom ? »

 

Il s’est marré :

 

- « Pourquoi ? Tu veux m’envoyer une carte postale avec un kangourou dessus ? »

            - « Non ! Pour mon journal. Je note le nom de tous ceux que je rencontre.

 

Il a hésité puis, s’est décidé :

 

-       « Lennon »

 

Un silence.

 

-       « John Lennon »

 

Et il a continué son chemin vers le jour qui arrivait.

 

§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§

 

Tout le monde attend que je souffle les bougies. Mais moi, la seule chose que je vois, c’est ton regard. Tu me regardes en souriant. Toi seule a compris que j’étais parti loin, très loin pendant quelques instants…

 

Ce sourire et ce regard : toute ma vie…

 

Non vraiment, il n’ y a rien à regretter…

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

 

 

EN HOMMAGE A J.LENNON TUE LE 8 DECEMBRE 1980....

CE TEXTE DE 2009

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Commentaires
LE TIPI DE LASTIROKOI
  • Retranché dans ses fôrets et sous son tipi ou il y a le WI FI (ben oui ça t'étonne?), un indien qui ne comprend plus grand chose au monde civilisé... Il vous emmene dans son monde de textes, d'histoires de tous les jours. N'hésitez pas à réagir vous aussi.
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